Au fil du temps

DISCOURS POUR L'INAUGURATION DE LA PLACE HUBERT MOUNIER

Octidi 18 Floréal CCXXXIII
(mercredi 7 mai 2025)

 

Je crois savoir ce que Hubert penserait d'une cérémonie comme celle-ci. Nourri à la bande dessinée et doté d'un solide sens de l'humour, sans-doute aurait-il trouvé un angle pour en rire. Et pourtant il souffrait secrètement d'un manque de considération artistique pour son travail. Dans une interview, lors de la sortie de l'album Voyager léger, Dominique Blanc-Franquart posait la question: quand allait-on reconnaître enfin que, derrière le clown facétieux des débuts de l'Affaire Louis Trio, il y avait un auteur-compositeur-interprète hors pair ? Et je rajouterais, sans oublier un auteur et illustrateur de BD remarquable. Dès lors on s'interroge sur la réussite, ce qu'on en retient et ce qu'elle occulte.
Je pourrais argumenter à la manière d'un conférencier et vous prouvez que la réussite ne fait pas le bonheur, mais je ne tiens pas vraiment à vous voir bailler d'ennui. Je m'en tiendrai à vous raconter des anecdotes pour légitimer ma présence aujourd'hui.
Un dernier mot cependant sur la réussite. Elle nécessite trois choses indispensables: le talent, le travail et la chance. L'une sans les autres ne mène pas loin et surtout pas à donner, un jour, son nom à une place.

J'ai fait la connaissance de Hubert au mitan des années 80. Lyonnais tous les deux, on partageait les mêmes passions pour les pop songs et la BD. On était fait pour s'approcher. Quand il a sonné à ma porte, le talent, il l'avait et travaillait dur sa musique et son crayon. Ce jour-là, je tenais le rôle de la chance. Mais la chance, ce n'est pas qu'une personne, il faut la croiser au bon moment. Il se trouve alors que je faisais partie du jury de Rock Envol, un concours national parrainé par la FNAC, avec des sélections régionales, dont celle de Lyon. Le lauréat de chaque sélection se voyait produire un 45 tours à paraître sur un label de renom. Pour préciser le contexte, Barclay était un de ces labels et j'étais artiste Barclay.
Hubert, qui s'était présenté à moi sous le nom de Cleet Boris, venait me montrer ses dessins. Je les ai trouvés excellents et lui ai promis de les faire parvenir à Métal Hurlant, revue ô combien prestigieuse, dans laquelle j'officiais. Avant de prendre congé, il m'apprend aussi qu'il a un groupe et me laisse une K7. Son groupe s'appelle Cleet Boris, comme lui.
Il s'en va, j'écoute la K7 et les oreilles m'en tombent. Je trouve ça très très bon, original, et le chanteur tue sa race. Alors que la sélection pour le concours Rock Envol est déjà établie, j'impose Cleet Boris au jury comme un outsider incontournable. Et j'ai raison. Il gagne la sélection haut la main sans que je ne soudoie personne. J'appelle aussitôt le directeur de Barclay, qui se trouvait être un ami à l'époque, et le convainc de choisir Cleet Boris pour le 45 tours Rock Envol que le label doit promouvoir. Il m'écoute. Le disque sortira quelques mois plus tard, mais sous le nom de L'Affaire Louis Trio pour des raisons, disons… phonétiques. Le succès sera au rendez-vous, le train de la réussite est lancé. Je souligne que je n'ai rien touché sur les ventes de l'Affaire Louis Trio, j'agissais de manière désintéressée. Et après je m'étonne de ne pas rouler en Porsche.

Voilà, j'ai été le facteur chance dans la carrière d'Hubert Mounier, alias Cleet Boris, et je n'en suis pas peu fier. Ses dessins ne convenaient pas à Métal Hurlant, toutefois le rédacteur en chef les a remarqués et ils ont fait leur chemin chez d'autres éditeurs. Mais le plus important pour moi dans tout ça reste qu'on soit devenus amis.

Maintenant je vais vous faire un aveu que je n'ai pas pu lui faire. En mai 2014, j'étais venu quelques jours dans sa maison en Ardèche pour me changer les idées. À l'initiative de Gaëlle, sa compagne, on avait sorti les guitares et pris la pose pour des photos faussement sur le vif de deux chanteurs ensemble en toute simplicité. Ça nous avait beaucoup amusé. Mais alors m'était apparu comme une évidence qu'on devrait un jour écrire une chanson commune et l'interpréter en duo. Je n'ai rien dit sur le moment. Ça n'était pas le bon timing. J'écrivais un roman et Hubert était accaparé par son album sur Tarzan qui lui bouffait tout son temps. Une autre fois, me promis-je. Raté.

Il y a des artistes qui meurent leur oeuvre accomplie. Ils quittent ce monde la paix dans l'âme et dans la nôtre aussi. Mais quand on écoute les dernières chansons d'Hubert, quand on lit son Tarzan inachevé, il est évident qu'il avait encore de belles choses à nous offrir. Sur cette plaque, pour ceux qui ont aimé Hubert Mounier et l'aime encore, il y a une date de trop, la deuxième.

Si on ne peut pas changer le cours de sa vie, on peut au moins paraphraser Hubert et se dire que :

La vengeance du chanteur
C'est qu'il peut ajouter des choeurs
Fuyez douces images
Le souvenir suffit