Au fil du temps

Sus à la demi-mesure

Décadi 30 Fructidor CCXXX1
(samedi 16 septembre 2023)

 

SUS À LA DEMI-MESURE

C'est la rentrée. Plus que cinq concerts avant la fin de la tournée dont quatre début 2024. Soyons honnêtes, cessons de jouer ce jeu de l'artiste qui affiche une résilience imperturbable sur les réseaux sociaux. Cinq concerts en cinq mois, c'est peu.

Je ne suis pas malheureux ni triste, simplement déçu. Cette déception, contrairement à la colère ou le drame, n'est pas « réseaugénique ». Difficile de l'évoquer, elle pourrait passer pour de l'amertume. Pour me consoler, on me dit que les temps sont durs pour tout le monde. Ce n'est pas vrai et je me réjouis que des artistes aient des tournées conséquentes. Je les envie aussi.
Un concert demande beaucoup d'énergie avant et pendant, voire après si la route est longue. Je n'en manque pas et je suis toujours content de retrouver mes compagnons de jeu. L'entente est belle entre nous. Les concerts se sont toujours bien déroulés, parfois même ils ont été magiques. Ok. Mais plus de concerts, cela eut été mieux. Si ma tournée a été maigre, c'est parce que je n'intéresse plus guère d'organisateurs. Leur raison principale est que je n'attire plus un public suffisant pour qu'ils fassent recette. Reconnaissez que c'est blessant. Lorsque je découvre que je vais me produire dans une salle peu remplie, je ressens un abattement que je surmonte assez vite car le plaisir de chanter reste fort. Je me dois de jouer pour les gens qui sont venus, qu'importe leur nombre.
Cela ne m'empêche pas de me poser des questions le lendemain. De me demander si ça vaut le coup de continuer. J'aurais aimé, à l'instar de Brel et Goldman, tirer ma révérence au sommet de ma gloire, mais je n'ai jamais atteint de pareils pics de popularité. Dans mon cas, de tels adieux auraient paru risibles. Et puis j'ai toujours eu de nouveaux élans musicaux qui m'ont motivé à persévérer. Néanmoins j'avoue que la lassitude me gagne. Comme en amour, lorsqu'on ne se sent plus désiré. Un jour on est l'objet de toutes les attentions, puis on fait partie des meubles et enfin on se retrouve remisé au grenier. Avec tout le respect qu'on vous porte. L'amour propre en prend pour son grade.
Je suis heureux de voir à mes concerts des gens qui me sont fidèles depuis longtemps malgré mes virages et mes volte-faces. Ils semblent même les apprécier. J'affectionne aussi particulièrement les personnes qui me découvrent aujourd'hui. Ils m'avouent honteux qu'ils ne connaissaient pas ma carrière et s'excusent du fait. En vérité, c'est un beau compliment. Qu'après tout ce temps, je puisse créer la surprise est très gratifiant. C'est donc que je ne suis pas qu'un objet de nostalgie.

Je sais avoir déjà évoqué cela dans ce journal. C'est un sujet récurrent depuis plusieurs années maintenant. J'amuse la galerie en prétendant que je vais arrêter à chaque fin de tournée et je rempile la fois suivante. Raccrocher les gants me taraude, c'est une vérité. Je le répète, Scherzando n'aurait pas existé sans les confinements successifs imposés par la pandémie de Covid (cf. Le journal du 16 septembre 2022). La tournée s'achèvera le 7 février à Caluire, au Radiant. Dans mon esprit, dans mon corps, je l'attends comme mon dernier concert. Ça vous fait sourire? « Que sera sera » chantait Doris Day.